Histoire et devenir de l’escalade
L’escalade est un sport en pleine vogue qui a remporté une grande victoire en étant passé du stade de pratique réservée à une élite, à un sport accessible à tous.
Cette métamorphose ne s’est pas faite du jour au lendemain et n’est pas terminée. Car même si les salles d’escalade se sont multipliées depuis 30 ans, le profil du grimpeur moyen n’a guère évolué depuis un siècle : plutôt jeune (entre 18 et 29 ans), masculin et doté d’un niveau d’instruction et de salaire légèrement au-dessus de la moyenne nationale.
Si l’escalade est devenue beaucoup plus accessible qu’avant, il lui reste malgré tout, encore bien des « montagnes à gravir » avant d’être reconnue comme un sport populaire. Afin de comprendre les difficultés de la pratique à fidéliser les milieux moins aisés, il faut d’abord replonger dans le passé pour cerner la problématique culturelle et ensuite tenter de comprendre l’orientation de plus en plus commerciale vers laquelle ce sport se dirige.
Tout a commencé avec la création du CAF (Club Alpin Français) en 1874 : les grimpeurs de Fontainebleau étaient apparentés aux gens qui s’entraînaient pour l’alpinisme. Autrement dit l’escalade est longtemps restée un dérivé de l’alpinisme, jusqu’au début des années 80, soit pendant plus de cent ans.
On vient a Bleau en train…
Les grimpeurs sont donc au départ des alpinistes qui, pour réaliser leurs exploits en atteignant les sommets des cimes, doivent trouver le temps de s’entraîner et avoir les ressources financières pour s’équiper en matériel, privilèges réservés à l’époque aux milieux les plus aisés.
L’année 1945 marqua un premier tournant dans l’escalade : au sortir de la guerre, l’Etat français décida d’encourager les expéditions lointaines afin de redorer l’image internationale du pays et sollicita le CAF pour cette « mission ». Mais ces valeurs d’excellence que souhaitait promouvoir le ministère des sports se heurtèrent à l’idéologie du CAF, hostile à une discipline élitiste mais plus favorable à des valeurs de partage du sport et à son accession au plus grand nombre.
L’Etat créa donc une fédération nouvelle, chargée de porter au monde les exploits de ses alpinistes : la FFM (Fédération Française de Montagne). Maurice HERZOG devint ainsi un des plus célèbres alpinistes en atteignant pour la 1ère fois dans l’histoire, l’Annapurna en 1950.
Durant les 3 décennies suivantes, les exploits des voisins européens et surtout américains mirent dans l’ombre nos alpinistes de l’hexagone mettant à mal la place de la France comme référence dans la conquête des hauts sommets. Petit à petit, nos grimpeurs étaient plus attirés par le perfectionnement des techniques de bloc et l’ouverture de nouvelles voies sur des falaises (et non plus des montagnes).
A la fin des années 70, l’escalade se démarqua peu à peu de l’alpinisme et devint au fil du temps une discipline à part entière. La médiatisation de Patrick EDLINGER à travers son film mythique La vie au bout des doigts (1982) mit pour la 1ére fois en lumière l’escalade, un sport dont le but n’est désormais plus de s’entraîner pour grimper en montagne, mais juste grimper.
EDLINGER entraîna dans son sillage les exploits de bon nombre de grimpeurs (Patrick BERAULT, Catherine DESTIVELLE…). En 1985, la FFM reconnu l’escalade comme discipline à part entière et c’est ainsi que fut créée sa branche escalade : la FFE (Fédération Française de l’Escalade). Cette dernière fusionnera avec la FFM deux ans plus tard pour donner naissance à la FFME (Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade).
En 2002, la FFME obtient la délégation du ministère des sports pour promouvoir et développer 4 disciplines : le ski-alpinisme, le canyonisme, la raquette à neige et l’escalade.
Au milieu des années 2000, elle se lance dans une vaste campagne de création et d’optimisation de mur d’escalade (les PNSAE) afin de répondre à cette demande grandissante, surtout l’hiver, et permettre aux grimpeurs de s’entraîner tout au long de l’année.
Destinée dans un premier temps à répondre à la demande des pratiquants qui manquent cruellement d’infrastructures, la FFME va ensuite se fixer comme mission de séduire de nouveaux licenciés. Pour cela, les Structures Artificielles d’Escalade (SAE) vont devenir sa meilleure arme de séduction : l’objectif est de fédérer les grimpeurs de falaise en les faisant devenir aussi des grimpeurs de salle.
Cela va se traduire par une augmentation exponentielle du nombre de ces licenciés : de 1.000 à sa création en 1987, la fédération compte presque 80.000 adhérents 25 ans plus tard.
Mais ce succès ne profite pas qu’à la FFME, car d’autres fédérations explosent ces statistiques :
– La FFCAM (ex CAF) est toujours là même si elle n’est plus le « leader » dans la promotion des activités de Montagne.
– La FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail), grosse fédération multisports sur Paris et sa 1ère couronne essentiellement, créée en 1934 avec le mouvement ouvrier et dont les valeurs de bénévolat militant et d’accessibilité au sport pour tous séduisent de plus en plus d’adhérents.
– L’UFOLEP et la MJC ont également su mettre les moyens adéquats pour répondre à cette demande.
– L’émergence des salles privées (Block’Out, Mur-mur, Entreblock…) qui proposent une escalade « à la carte », généralement en complément de la pratique club mais parfois aussi à son détriment.
Mais entre tous ces intervenants, 2 courants se dégagent :
1) La logique commerciale surtout entretenue par les salles privées (Block’Out, Mur-mur…) qui favorise le consumérisme sportif de l’escalade et sa professionnalisation. Elle engendre de ce fait des coûts d’entrée élevés dans les salles, nécessaires pour financer l’embauche de salariés et donc une accession plus difficile à ce sport aux milieux défavorisés.
2) l’esprit associatif tourné vers le militantisme bénévole qui souhaite préserver une escalade conviviale et accessible à tous. Le coût de licence est volontairement faible mais compensé par l’implication des bénévoles dans la vie de l’association et le fonctionnement en réseau des clubs qui facilite la mutualisation des projets, du matériel et des murs. Les moyens sont divers : la FSGT par exemple, mise beaucoup sur le concept « grimper chez les voisins » afin de diversifier la pratique sur plusieurs structures.
C’est cette seconde approche qui donne plus de possibilités à tous de découvrir cette discipline dans un esprit non mercantile.
La FFME de son côté, en tant que fédération délégataire, a aujourd’hui les clefs en main pour « populariser » ce sport, à condition que sa politique de développement ne soit pas exclusivement tournée vers l’élitisme et la compétition mais aussi vers une population de curieux, simplement désireux de pratiquer une activité de pleine nature, loin du bitume.
Et les choses se compliquent si on y ajoute une autre inconnue à savoir les grimpeurs de falaise occasionnels : la plupart d’entre eux n’ont pas de licence club ou au mieux une carte d’accession aux salles privées et ne sont donc pas répertoriés comme grimpeurs « réguliers » par le ministère des sports.
Si ces pratiquants deviennent à l’avenir des grimpeurs de salle, vers quelle escalade vont-ils se tourner : les salles privées pour être de simples consommateurs de l’escalade ou bien les clubs affiliés destinés à des bénévoles actifs et impliqués dans la vie de l’association ?
Aujourd’hui, le nombre de grimpeurs licenciés en France, toutes fédérations confondues, avoisine les 150.000, mais la pratique de l’escalade en milieu naturel sans adhésion en club représente un volume beaucoup plus important et difficile à chiffrer en nombre de grimpeurs : il est estimé, à plusieurs centaines de milliers de demi-journées de pratique annuelle (900.000 pour le seul site de Fontainebleau) d’après une étude de l’IRDS menée en 2012.
C’est ce réservoir de licenciés potentiels que toutes les salles d’escalade aimeraient accueillir.
Malgré les excellents résultats de la pratique de l’escalade en France, la discipline a donc encore bien des murs à franchir pour réussir à pénétrer tous les milieux.
C’est donc un enjeu de taille qui attend ce sport dans les années à venir et dont la FFME, selon sa politique choisie, jouera un rôle déterminant : la professionnalisation de l’escalade va-t-elle se généraliser au détriment de l’escalade associative ?
Cela aurait pour conséquence inévitable une accession encore plus difficile à ce sport aux milieux sociaux défavorisés.
Au-delà de ces enjeux, il est surtout souhaitable que les différentes fédérations restent complémentaires et non concurrentes : la FSGT, l’UFOLEP et la MJC doivent poursuivre leur travail pour permettre une accession plus facile à ce sport aux couches sociales défavorisées (et aussi aux handicapés), afin de proposer une escalade alternative à la logique commerciale.
Charge à la FFME de travailler avec elles pour séduire les grimpeurs occasionnels et détecter de futurs champions sans que cette politique de développement élitiste n’entrave l’accession à ce sport pour un public moins tourné vers la compétition. (Cette politique, d’ailleurs dont nous connaissons le but ultime : faire de l’escalade une discipline olympique.)
La FFME est le moteur du développement de l’escalade en France et l’efficacité de son travail traduit les bons chiffres de la pratique.
Mais gare au piège : même si, en tant que fédération délégataire, elle dispose de plus d’aides de l’Etat pour entretenir ses projets de développement, elle n’a pas le savoir faire de la FSGT ou du CAF pour permettre une accession plus facile de l’escalade aux milieux les plus populaires.
De plus, son apparition dans le monde de l’escalade s’est opérée bien après celle de ces « vieux brisquards » de la discipline (CAF en 1874, UFOLEP en 1928, FSGT en 1934) qui ont chacun un historique d’implication dans ce sport bien plus abouti.
C’est pourquoi si la FFME veut défendre l’escalade associative elle ne doit pas mener seule ses projets de développement mais au contraire, prendre la mesure de la nécessité de se coordonner avec les autres acteurs de la discipline, afin que ce sport grandisse en harmonie avec les besoins de tous les grimpeurs.